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Attentat au Bataclan : le mensonge "dévastateur" de Jean-Luc Batisse, fausse victime des terroristes

Article rédigé par Juliette Campion
France Télévisions
Publié Mis à jour
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Le jeune homme a escroqué de 77 000 euros le Fonds de garantie des victimes du terrorisme (FGTI).  (ELLEN LOZON / FRANCEINFO)

Âgé de 26 ans au moment des attaques du 13-Novembre, il a berné pendant plus de deux ans l'ensemble de ses proches et des associations qui l'ont accompagné. Récit.

"Je l'ai tout de suite trouvé assez inquiétant. On sentait que c'était quelqu'un qui avait des problèmes psychologiques." Arthur Dénouveaux, le président de l'association de victimes Life for Paris, se souvient très bien de sa rencontre avec Jean-Luc Batisse le 13 novembre 2016, au moment des premières commémorations des attentats. "Une sensation étrange" l'a saisi en discutant avec ce jeune homme originaire de Moselle et passionné de course à pied, qui se présente alors comme une victime des attaques du Bataclan.

"On voyait qu'il y avait quelque chose qui clochait chez lui : il partait un peu dans tous les sens quand il s'exprimait", décrit-il à franceinfo. "Mais dans le contexte post-attentats, il y avait une bienveillance globale vis-à-vis de toute différence qui faisait qu'on ne se posait pas tellement de questions", poursuit Arthur Dénouveaux. C'est ainsi que pendant plus de deux ans, Jean-Luc Batisse est parvenu à duper ses proches et des associations, jusqu'à sa condamnation à trois ans et demi de prison, en mars 2019, pour escroquerie aggravée et détention de faux documents.

Un faux billet d'entrée pour le concert

Le scénario de Jean-Luc Batisse naît dans les semaines de deuil et de sidération de la fin de l'année 2015. Paris tente de se remettre de l'horreur et la solidarité s'organise entre les victimes, dont beaucoup souffrent de stress post-traumatique. L'heure est à l'entraide et à l'écoute. Alors, quand il rejoint les principales associations d'aide aux victimes en décembre, personne ne se méfie. D'autant qu'à ce moment-là, aucun cas de fausse victime n'a été déploré. Il reçoit un soutien psychologique de l'association Paris Aide aux victimes, mais c'est surtout Life for Paris qui va l'accompagner.

Jean-Luc Batisse porte plainte le 12 janvier 2016 dans un commissariat et se constitue aussitôt partie civile en vue du procès des attentats. Il est inscrit dans le même temps sur la liste unique des victimes (LUV) établie par le parquet de Paris, ce qui lui permet d'ouvrir un dossier d'indemnisation auprès du Fonds de garantie des victimes de terrorisme (FGTI). Pour justifier de sa présence au concert des Eagles of Death Metal, il fournit un billet d'entrée et huit photos de l'intérieur du Bataclan, au moment de l'assaut meurtrier. L'ensemble a en réalité été trouvé "sur le dark web", moyennant 500 euros, explique-t-il à son procès. Au total, Jean-Luc Batisse relance le FGTI une douzaine de fois et empoche 77 000 euros, versés entre janvier 2016 et janvier 2019.

Ce "boxeur dans la catégorie poids lourds des fausses victimes", comme l'a qualifié une association lors de son procès, réussit aussi à obtenir de l'argent de la caisse d'assurance maladie du Val-de-Marne et de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre. Il dilapide tout, jusqu'au dernier centime, dans des voyages à Dubaï et Londres.

Un récit ponctué d'incohérences

Grâce à Life for Paris, il décroche même pour quelques mois un poste à la mairie de Paris. Malgré son comportement parfois "lourd avec les filles", Jean-Luc Batisse se rapproche de plusieurs membres de l'association qui le prennent sous leur aile. Il déballe à qui veut l'entendre le récit de "sa" nuit des attentats : il affirme s'être rendu au concert en compagnie d'un couple d'amis, Anne et Pierre-Yves, deux véritables victimes des terroristes, qu'il dit avoir perdus de vue au moment de l'attaque. Il raconte ensuite s'être enfui, puis avoir passé la nuit dans un square à les attendre. "Cette dernière partie de son récit soulevait des doutes chez plusieurs de nos membres", reconnaît aujourd'hui Arthur Dénouveaux.

"On s'est dit que le choc psychologique pouvait avoir joué. Et puis, il n'avait pas l'air bien dans ses baskets."

Arthur Dénouveaux, président de Life for Paris

à franceinfo

L'usurpateur pousse le vice jusqu'à prendre contact avec Renaud, le frère d'Anne. Jean-Luc Batisse lui affirme "avoir vu de la peur dans les yeux d'Anne au moment où elle a été prise pour cible par le terroriste". Il lui confie "s'en vouloir d'être le seul rescapé des trois", se souvient Renaud lors du procès de la fausse victime. Un mensonge dont "on imagine combien il a pu être dévastateur", déclare la procureure.

Les soupçons émergent à partir de 2017, après plusieurs événements troublants. Pendant une soirée dans un bar, organisée au cœur de l'été, Jean-Luc Batisse sort une arme devant plusieurs membres de Life for Paris. Elle s'avère factice, mais le groupe prend peur. Mi-novembre, une quinzaine de membres de l'association participent, en Guadeloupe, à une étude des bienfaits de la plongée sous-marine sur les effets du stress post-traumatique. En discutant, deux participantes réalisent qu'elles ont chacune eu une liaison avec Jean-Luc Batisse. Les deux histoires se sont mal finies : il s'est montré désagréable et menaçant lorsqu'elles ont voulu se séparer de lui. Surtout, aucune des deux jeunes femmes n'a entendu la même version de la nuit qu'il dit avoir passée au Bataclan.

Des antécédents d'usurpation

Peu à peu, l'étau se resserre. Au sein de Life for Paris, Arthur Dénouveaux débute une enquête discrète à son sujet à la fin de l'année. Il demande à chaque membre de l'association de répéter la version qu'il leur a livrée. "Ça ne collait jamais." Il se renseigne par ailleurs sur la participation aux Jeux olympiques dont se vante Jean-Luc Batisse, arborant fièrement un tatouage des anneaux olympiques. Le président de Life for Paris ne tarde pas à découvrir qu'il s'agit d'un mensonge.

"Il est plus ou moins facile de détecter ces fausses victimes. C'est souvent à cause des incohérences de leurs récits", observe Nathalie Faussat, responsable du Fonds de garantie des victimes de terrorisme. "Elles sont essentiellement repérées par le signalement des associations de victimes, qui ont une proximité quasi quotidienne avec elles." La mythomanie de Jean-Luc Batisse a toutefois été moins évidente à déceler que celle d'autres fausses victimes, comme les cas emblématiques d'Alexandra Damien ou Florence Monjault, pour lesquelles "on avait un faisceau d'indices concordants", relève Arthur Dénouveaux. Pour lui, c'était plutôt "de la forte suspicion". Aussi, lorsqu'il contacte la police et le FGTI pour faire part de ses soupçons en janvier 2018, le président de Life for Paris prend ses précautions. Il les met en garde : "Attention, je n'ai pas de preuves formelles comme pour les autres, mais si je regarde précisément, rien ne colle."

Les enquêteurs commencent à se pencher sur son cas et mettent un an à l'arrêter. Ils découvrent tout d'abord que Jean-Luc Batisse a des antécédents en matière d'usurpation. Il s'est déjà fait passer pour un policier sur la voie publique, en revêtant un uniforme factice. Lors d'une perquisition à son domicile de Puteaux (Hauts-de-Seine), les policiers mettent également la main sur trois faux passeports. L'homme est placé en garde à vue le 30 janvier 2019 pour "escroquerie" et "détention frauduleuse de faux documents administratifs".

Un "mythomane" pris dans l'engrenage de ses mensonges

Jean-Luc Batisse reconnaît les faits et avoue même n'avoir jamais mis un pied au Bataclan. Il ne connaît pas les victimes Anne et Pierre-Yves, qu'il avait présentés comme ses amis. Le soir des attentats, il n'était pas à Paris mais à Nancy (Meurthe-et-Moselle).

A son procès, le 12 mars 2019, au tribunal correctionnel de Créteil, Jean-Luc Batisse comparaît détenu et se défend laborieusement. Sur le banc des parties civiles, figurent les organisations bernées : Life for Paris et l'Association française des victimes de terrorisme, ainsi que le Fonds de garantie des victimes. Pour justifier sa dérive mensongère, Jean-Luc Batisse invoque une rupture sentimentale douloureuse et assure ne pas avoir fait cela pour l'argent, mais "sur un coup de tête". Il assure être "parti en burn-out". L'argument convainc moyennement les parties civiles qui penchent plutôt pour l'appât du gain.

"Je ne voulais plus voir personne, il fallait que je m'oxygène. J'étais tellement dans un engrenage."

Jean-Luc Batisse

lors de son procès

Quand on l'interroge sur le faux billet de concert et sur les photos sanglantes de l'intérieur de la salle, il rétorque vertement : "Ce sont les associations qui ont monté le dossier, j'ai rien demandé moi !" La présidente souligne au contraire la "part active" du prévenu, chez qui les enquêteurs ont trouvé plusieurs exemplaires de la revue Sciences Psy. Pour la procureure, "il les a très bien lus", et s'en est servi pour rendre son récit authentique. L'expert mandaté sur son cas a diagnostiqué l'existence de troubles divers, mais assure que sa responsabilité pénale ne peut pas être remise en question. Ce que dément pas l'avocate de Jean-Luc Batisse : "Mon client est un mythomane, mais il reste responsable pénalement."

Treize fausses victimes condamnées

"Les escrocs en général, ont des esprits fins, déliés, ils savent ce qu'ils font", pointe Jean-Marc Delas, l'avocat de Life for Paris. Lui se souvient de Jean-Luc Batisse comme "d'un homme qui n'avait pas une grande capacité à comprendre, un peu loin du sujet". A titre de comparaison, il note que le procès d'Alexandra Damien s'est mieux passé que celui du jeune Mosellan : "On a des faits comparables, mais des peines qui ne le sont pas." Cette dernière a écopé de six mois ferme, en octobre 2018. Jean-Luc Batisse a été condamné à trois ans et demi de prison, dont six mois de sursis. "C'est une peine que j'ai trouvée lourde", commente Jean-Marc Delas auprès de franceinfo.

Depuis janvier 2016, treize personnes ont été définitivement condamnées pour avoir escroqué ou tenté d'escroquer le FGTI en se faisant passer pour des victimes des attentats du 13-Novembre.

"Sur d'autres attentats de moins grande ampleur, comme l'Hyper Casher ou Charlie Hebdo, c'était bien plus difficile de frauder. L'ampleur et les circonstances de cet événement ne pouvaient que favoriser l'apparition de faussaires."

Nathalie Faussat, responsable du FGTI

à franceinfo

Arthur Dénouveaux garde un souvenir ému de l'affaire : "J'ai dû dénoncer Florence, puis Alexandra, puis lui… C'est vraiment difficile d'envoyer des gens en prison." Au sein de Life for Paris, si "une forme de soulagement" prédomine, la condamnation de Jean-Luc Batisse laisse un goût amer "car on sent qu'il a des problèmes profonds". "On aurait préféré ne jamais le croiser", regrette le président.

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